Publié le Mer 20 Novembre 2024 91 Vue(s) [218 articles]
Modernisation des flottes de bus, de bateaux-bus et même de taxis, multiplication des dessertes, bus express en site propre, métro… Ces cinq prochaines années, la capitale économique ivoirienne va voir ses réseaux de transport profondément transformés. De quoi enfin changer radicalement le quotidien des Abidjanais.
Rond-point
de Riviera 2, Camp-Commando, 9-kilos… Difficile pour un Abidjanais de ne pas
associer ces grands carrefours de la capitale économique ivoirienne à la vision
d’embouteillages interminables. En dépit des nouveaux ponts et axes routiers
réalisés ces deux dernières années – notamment avant l’accueil, début 2024, de
la Coupe d’Afrique des nations (CAN) –, les infrastructures routières sont
saturées par les 9 millions de déplacements qui s’effectuent chaque jour au
sein du district autonome d’Abidjan, dont la population devrait passer de 6,3
millions d’habitants actuellement (soit 21,5 % de la population de la Côte
d’Ivoire) à 10 millions d’ici à 2040, selon l’ONU-Habitat.
Au cœur des problématiques de mobilité demeure la quasi-absence de transports
de masse alternatifs. Ce sont donc des milliers de minivans (les gbakas) et de
taxis communaux bariolés qui, contre quelques centaines de francs CFA,
acheminent des passagers serrés les uns contre les autres vers leur
destination. Mais, d’ici à 2030, une ligne de bus express, le Bus Rapid Transit
(BRT) et un train urbain, le « métro », devraient former la tête de
pont d’un arsenal capable de répondre au défi des trajets pendulaires à
Abidjan.
Le métro opérationnel en 2028
Pour comprendre les dynamiques actuelles, il faut remonter à 2013, date à
laquelle a débuté l’élaboration du Schéma directeur d’urbanisme du Grand
Abidjan (Sduga), la métropole du Grand Abidjan comprenant le district autonome
(les 10 communes de l’ancienne ville d’Abidjan, auxquelles s’ajoutent les 4
sous-préfectures de Bingerville, Brofodoume, Anyama et Songon), ainsi que 6
communes voisines : Alépé, Azaguié, Bonoua, Dabou, Grand-Bassam et
Jacqueville. Pendant deux ans, l’Agence japonaise de coopération internationale
(Jica) a épaulé le gouvernement ivoirien pour définir un cadre de référence. En
2015, les grandes lignes étaient fixées, actant l’idée d’une architecture de
transports massifiés en forme de croix.
« Notre travail a servi de base à tous les autres projets de
mobilité », se félicite Akira Ozawa, chef des programmes infrastructures.
Parallèlement, la mise en service de trois ponts depuis 2014 (le pont
Henri-Konan-Bédié entre Cocody et Marcory, inauguré en décembre 2014, le
pont Alassane-Ouattara entre le Plateau et Cocody, inauguré en août 2023,
et le pont à péage de Yopougon-Adjamé, ouvert en juillet dernier) a permis de
s’affranchir en partie des contraintes imposées par la lagune, en l’enjambant.
Mais le projet phare de ce schéma directeur reste le train urbain, couramment
appelé « métro », dont le chantier, débuté en 2022, devrait être
achevé d’ici à la fin de 2027, pour une mise en service en 2028 – après avoir
été annoncée en 2017, en 2019, en 2022, puis en 2025. Si le retard sur ce genre
de chantier reste la norme, il peut être notamment imputé à la délicate
question de l’indemnisation des personnes « impactées » par le tracé
(plus de 5 800 habitants ont été identifiés), ainsi qu’à certains défis
techniques, tels que l’instabilité des sols de Port-Bouët. Cette commune cernée
par la lagune et le golfe de Guinée est en effet particulièrement vulnérable à
la montée des eaux.
Cette « ligne 1 » du métro, qui utilise en partie les infrastructures
ferroviaires de la ligne de fret Abidjan-Ouagadougou, reliera Anyama, commune
de l’extrême nord du district, à l’aéroport international Félix-Houphouët-Boigny,
situé à Port-Bouët, dans le Sud, soit un parcours de 37 kilomètres, sur lequel
les rames circuleront jusqu’à 80 km/h et transporteront quotidiennement un
demi-million de passagers, selon les prévisions.
Ce projet est entièrement français. Son coût global, soit 1,3 milliard
d’euros, est couvert par un financement tripartite du Trésor français, de
Société générale et de BNP Paribas. Côté réalisation, Bouygues Travaux publics
assure le pilotage du projet, sa filiale Colas Rail est chargée des voies et de
l’alimentation électrique, Alstom du matériel roulant, de la signalisation des
télécommunications et des équipements du dépôt, et, enfin, Keolis (groupe SNCF)
de l’exploitation et de la maintenance.
Un bus rapide qui fédère les bailleurs
Sur l’axe est-ouest, c’est un gigantesque partenariat public-privé qui doit
bientôt permettre de relier Yopougon – la plus peuplée des 19 communes du Grand
Abidjan – à Bingerville, le nouvel eldorado des classes moyennes. Sur cette
voie en site propre qui traversera des quartiers encore inexistants il y a une
quinzaine d’années, la future ligne de Bus Rapid Transit (BRT) a pour objectif
de transporter plus de 500 000 personnes chaque jour.
Ces bus circulant dans un immense couloir réservé, interdit aux autres véhicules,
est un mode de transport urbain aujourd’hui privilégié en Afrique, du fait de
son coût relativement limité et de son efficacité. De Dar es-Salaam à Dakar en
passant par Addis-Abeba, plusieurs métropoles ont choisi cette option appuyée
par les bailleurs. Dans la capitale économique ivoirienne, où sa mise en œuvre
est intégrée au Projet de mobilité urbaine d’Abidjan (PMUA), chiffré à
432 millions d’euros, la Banque mondiale couvre à elle seule 56 % de
ces prêts octroyés à la Côte d’Ivoire, avec l’appui de l’Agence française de
développement (AFD) et du secteur privé : soit une facture réduite de plus
de moitié, comparé à un projet de métro.
Pour ce service de bus rapides sur voies réservées, il faudra dégager un
imposant couloir, sur une vingtaine de kilomètres, où circuleront des bus
100 % électriques, parfois en véritables colonnes. Le BRT table en effet
sur le passage de véhicules toutes les trente secondes en heures de pointe
matinales. Côté construction, le gros œuvre sera assuré par un tandem de sociétés
chinoises actives sur tout le continent : China Gezhouba Group Corp et
China Road and Bridge Corp.
Bien qu’aucun opérateur n’ait encore été désigné pour exploiter la ligne,
celui-ci aura la charge de choisir l’équipementier des bus. Dans ce contexte,
certains acteurs traditionnels, comme Keolis ou Transdev, devraient
naturellement se positionner. Pour exemple, à Dakar, le service de BRT mis en
service au début de 2024 est exploité par Dakar Mobilité, société sénégalaise
détenue par le Fonds souverain d’investissements stratégiques du Sénégal
(Fonsis, 30 %) et par le groupe français Meridiam (70 %), spécialisé
dans le financement d’infrastructures.
Dans Abidjan, les travaux débutent et, pour tenir leurs engagements, les
équipes du BRT devront se coordonner avec la Jica, qui, malgré un plan d’action
distinct du PMUA, construit trois échangeurs intégrés au tracé de la ligne de
bus rapides. Ces ouvrages, réalisés par des entreprises japonaises grâce à un
prêt concessionnel de 120 millions d’euros, « seront livrés d’ici à
2030 » assure l’équipe de Saito Seiko, la représentante adjointe de la
Jica en Côte d’Ivoire.
La priorité : organiser la multimodalité
Derrière ces lourds investissements, un seul objectif : diversifier les moyens
de transport. Dans cet esprit, le PMUA compte aussi quelque peu bousculer un
secteur dominé par l’informel, incluant une multitude de taxis et gbakas. Il
prévoit notamment un renouvellement partiel de leur flotte, soit 2 000
taxis et 1 000 minivans neufs, ainsi que des stages d’alphabétisation pour
les chauffeurs qui souhaiteraient se reconvertir.
Face aux insuffisances des États en matière de transport public, ces systèmes
informels dits de « paratransit » se sont rapidement imposés en
Afrique de l’Ouest. Interrogée sur le sujet, Sonia Lioret, responsable
infrastructures de l’antenne de l’AFD à Abidjan, se veut rassurante :
« Nous ne sommes pas dans une logique de contrainte, la mobilité ne pourra
pas se faire sans ces acteurs. Il s’agit de s’appuyer sur l’architecture
existante. »
En l’occurrence, Abidjan a aussi la particularité de disposer de services de
transport lagunaire assurés par les bateaux-bus de la Société des transports
abidjanais (Sotra), l’opérateur public local, auxquels se sont ajoutés, depuis
la libéralisation du secteur, en 2015, ceux de la Société de transport
lagunaire (STL, filiale de Snedai) et de la Compagnie ivoirienne de transports
lagunaires (Citrans, filiale du groupe financier Conad), toutes deux
opérationnelles depuis 2017. Ce réseau de bateaux-bus lagunaires devrait lui
aussi faire l’objet d’une réorganisation pour pallier une fréquentation
qualifiée de « marginale » par Meïté Bouaké, le directeur général de
la Sotra.
En août dernier, l’AFD a consenti à un prêt de 110 millions d’euros
destiné à la Côte d’Ivoire pour le financement du projet Abidjan-Intermodalité
(AIM), qui s’inscrit dans le cadre du Sduga. Le cahier des charges prévoit
notamment l’aménagement de 32 pôles d’échanges multimodaux et de 180 points
d’arrêt à travers le Grand Abidjan, dans le but de fluidifier les interactions
entre les bus de la Sotra, les taxis, les bateaux-bus et les futures lignes du
BRT et du métro. De ce point de vue, le principal carrefour passera par
Adjamé-Liberté, à quelques encablures du Plateau, qui pourrait voir son statut
de quartier d’affaires redynamisé.
Outre les indispensables liaisons et points de connexion entre les différents
modes, la tarification appliquée à ces nouveaux services, ainsi que
l’interopérabilité du ticket entre les différents modes de transport, seront
déterminantes, car, comme le rappelle Sonia Lioret, « 20 % à
30 % des ressources [des Abidjanais] sont consommés en transport ».
Bon gré mal gré, ces infrastructures et services qui entreront en service d’ici
à 2030 devront donc, pour être efficaces, s’adapter tant aux besoins d’une
urbanisation galopante qu’aux habitudes et aux mentalités, dans une société où
la voiture individuelle reste un marqueur fort de réussite"
(Source : Jeune Afrique)
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