Publié le Lun 18 Novembre 2024 28 Vue(s) [228 articles]
Lors de son congrès, le Front populaire ivoirien a acté la suspension de ses principaux leaders dissidents. Ces derniers rejettent en bloc cette décision et la réélection de Pascal Affi N’Guessan, qu’ils considèrent comme illégitime, à moins d’un an de la présidentielle de 2025.
« Nous les avons tous vus et
entendus. C’est pourquoi le congrès décide de suspendre le camarade Dabo Godet
pour 5 ans », lance la présidente de séance, sous un tonnerre
d’applaudissements. Il est un peu plus de 19 heures lorsqu’elle prend la
parole. Après deux jours de congrès à Yamoussoukro, les 8 et 9 novembre,
les traits des membres du Front populaire ivoirien (FPI) sont tirés. Mais
lorsque le sujet des sanctions est abordé, ceux qui somnolent sur leurs sièges
sont subitement réveillés.
Depuis quelques semaines, Dabo Godet cristallise la colère de certains de ses
camarades. Celui qui a présenté sa candidature à la tête du parti face à Pascal
Affi N’Guessan avait également saisi la justice pour faire annuler le congrès,
estimant que les conditions pour sa tenue n’étaient pas réunies.
D’autres personnalités, telles que l’ex-secrétaire général et ancien
porte-parole du parti, Issiaka Sangaré, sont également dans le viseur. La
résolution suggère de le suspendre pour trois ans. « Qu’en pensez-vous
chers camarades congressistes ? », poursuit la présidente. Plusieurs mains
se lèvent. « Ce qu’ils ont fait est une trahison. Je propose que l’ex-SG
qui est allé jusqu’à créer un courant soit sanctionné à la même hauteur que
Godet », dit un participant. Des discussions s’engagent. En tout, une
dizaine de cadres écopent d’une sanction allant d’un à cinq ans de suspension.
Et Pascal Affi Nguessan a été réélu président à 99% des voix.
« Le pire congrès de l’histoire du parti »
Depuis plusieurs mois, le FPI traverse une crise interne. Le congrès était
pourtant censé sonner le rassemblement dans les rangs et marquer la rupture
avec l’ancien allié du Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et
la paix (RHDP, au pouvoir). Mais il a mis en lumière l’ampleur de la fracture.
Dans le camp des « frondeurs », la réaction ne s’est pas faite
attendre. Deux jours plus tard, le président du courant « démocratie et
valeurs », Issiaka Sangaré, a donné rendez-vous à la presse.
« C’est le pire congrès de l’histoire du parti », a-t-il martelé. À
ses côtés ce jour-là, se trouvaient quelques cadres historiques qui ont
également été sanctionnés. « Comment comprendre qu’un congrès censé élire
les responsables des jeunes, des femmes, le président du parti et son candidat
à la présidentielle, peine à remplir une salle de 2 500 places, sachant
que plus de 7 000 personnes étaient attendues ? C’est un camouflet
pour Affi N’Guessan, qui doit en tirer les conséquences », a-t-il déclaré.
Affi parle de ceux qui doivent aller à la retraite. Mais il est à la tête du
parti depuis 2001 et vient d’être reconduit pour cinq autres années. Il parle
de démocratie tout en bâillonnant ses opposants internes et en voulant empêcher
l’existence d’un courant de pensée.
Issiaka Sangaré
Les membres de ce courant dissident pointent ce qu’ils estiment être des
violations des textes du parti et remettent en question la qualité des
participants au congrès. « Comment 4 500 personnes peuvent-elles
voter comme cela a été annoncé alors que la salle n’était même pas
remplie ? », s’est interrogé Issiaka Sangaré, qui estime que même
sans avoir appelé au boycott, son initiative a eu un impact.
« Affi parle de ceux qui doivent aller à la retraite. Mais il est à la
tête du parti depuis 2001 et vient d’être reconduit pour cinq autres années. Il
parle de démocratie tout en bâillonnant ses opposants internes et en voulant
empêcher l’existence d’un courant de pensée », a dénoncé Issiaka Sangaré.
Il a également rappelé qu’une décision de justice relative au congrès était
toujours attendue, et que lui et ses camarades étaient prêts à aller jusqu’au
bout afin de s’assurer du strict respect des textes. « Les décisions
de ce simulacre de congrès ne sauraient nous être applicables. Le PPA-CI [Parti
des peuples africains-Côte d’Ivoire de Laurent Gbagbo] est parti, le MGC
[Mouvement des générations capables de Simone Ehivet Gbagbo] a également été
créé à la suite de cette scission, dit-il. Nous ne pouvons pas nous taire et
regarder notre parti se réduire comme peau de chagrin ».
Au sein du FPI, depuis le congrès, l’on considère le débat clos. Agacé, un
cadre confie à Jeune Afrique : « Ils sont suspendus ! Cela
signifie qu’ils n’ont pas le droit d’utiliser le logo, les symboles, ou encore
le nom du parti, dont ils ne sont pour le moment plus membres. Le congrès est
souverain, ils auraient dû être là pour défendre leur position. Une fois que la
décision a été prise, c’est terminé. »
Interrogé par la presse à l’issue du congrès, Pascal Affi Nguessan a affirmé
que ce courant dissident est « un phénomène marginal au sein du FPI. […]
Ces personnes n’ont pas véritablement d’ancrage dans le parti et [leurs]
positions ne sont pas vraiment comprises et soutenues. »
Entre les deux hommes, les liens sont coupés depuis trois mois
Les relations Pascal Affi N’Guessan et Issiaka Sangaré sont pourtant anciennes.
Elles remontent au début des années 1990 et à la création du FPI. « Sans
être particulièrement proches », ils se fréquentent et travaillent
ensemble à l’implantation du parti. Affi devient Premier ministre lorsque
Laurent Gbagbo est élu à la tête du pays et Issiaka Sangaré évolue également au
sein de la formation politique. Il sera conseiller municipal à Cocody pendant
quelques années. Frère cadet d’Abdourahmane Sangaré, l’une des figures du FPI,
Issiaka Sangaré se démarque par sa rigueur.
Le 25 mars 2019, alors que la place de Laurent Gbagbo fait débat au sein
du parti, la secrétaire générale et porte-parole, Agnès Monnet, démissionne.
Elle dénonce alors « une grave crise interne dans laquelle le parti s’est
englué ». De nombreux fidèles de l’ancien président, surnommés les
« GOR », souhaitent qu’Affi lui cède la place. Ce dernier est
également accusé d’être trop proche du pouvoir et d’être un « opposant
utile ». C’est dans ce contexte que l’ancien Premier ministre porte son
choix sur Issiaka Sangaré pour être le nouveau secrétaire général et riposter
aux attaques de leurs camarades.
Nous n’avions plus aucune raison d’être avec le RHDP, sauf à apparaître comme
un parti stupide. »
Pascal Affi N’Guessan
Président du FPI
Au retour de Laurent Gbagbo, le FPI ne cède pas. L’ex-président crée finalement
le PPA-CI. « Le FPI n’est pas un bien patrimonial », disait alors
Issiaka Sangaré. Un discours qu’il répète encore aujourd’hui. L’annonce d’Affi
de mettre un terme au partenariat avec le RHDP a mis le feu aux poudres. Si
pour l’ancien Premier ministre, il s’agit d’une volonté du parti de
s’émanciper, les dissidents, eux, estiment qu’il aurait d’abord dû en faire le
bilan et reconnaître que les listes communes aux locales ont permis au parti
d’avoir une meilleure implantation locale. « Lorsque nous disons cela, on
nous accuse de vouloir profiter de ce partenariat. Mais soyons honnêtes, Affi
est celui qui s’est goulûment abreuvé à la mamelle du partenariat ! »,
tance Issiaka Sangaré. Face à sa défaite dans son fief du Moronou lors des
locales de septembre 2023, Affi a accusé le RHDP de ne pas avoir joué
franc-jeu.
Ce dernier s’est expliqué sur les raisons de sa décision. « C’était pour
avancer sur le plan électoral et institutionnel. On pensait que le RHDP pouvait
nous aider à avancer, en compensation de ce que nous allions lui apporter pour
consolider sa position. Le parti pouvait nous aider à avoir deux ou trois
communes. Ils ont presque 160 mairies. Qu’est-ce que ça changeait pour eux ?
Mais ils ont été incapables de ce petit sacrifice. Sur le plan de la
réconciliation qui était l’autre pilier de ce partenariat, ils ont fait la
démonstration que cette question ne les intéressait pas. Donc nous n’avions
plus aucune raison d’être avec eux, sauf à apparaître comme un parti
stupide. »
Entre les deux hommes, les liens sont coupés depuis près de trois mois. Ils
n’échangent plus directement au téléphone. Ils ne se sont plus rencontrés non
plus depuis. Pourtant tous deux habitent à quelques pas l’un de l’autre, à
Cocody. Fin septembre, Pascal Affi N’Guessan a remanié le parti et nommé
Barthélémy Iré Gnépa, un cadre de l’ouest, comme nouveau secrétaire général et
porte-parole, ce qui a contribué à distendre encore plus leurs relations.
Issiaka Sangaré s’estime-t-il trahi après avoir pris des coups pour Affi ?
Le rapprochement opéré en parallèle avec le PPA-CI est un des principaux griefs
des frondeurs. Le parti risque-t-il de connaitre une nouvelle scission ?
Même si leurs camarades minimisent leur poids, les membres du courant
« démocratie et valeurs » disent rester droits dans leurs bottes. Un
bras de fer qui semble parti pour durer."
Source (Jeune Afrique)
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